(1868-1946)
À mesure que la base du savoir en anesthésie s’élargit, elle est transmise par sa littérature, tandis que ses traditions et ses normes de pratique sont élaborées et maintenues par des individus. De temps en temps, une personne représente tout ce qu’il y a de meilleur en anesthésie; au Canada, dans les années 1960 et 1950, ce fut Harold Griffith, dans les années 1940, Wesley Bourne, et dans les années 1930 et 1920, Samuel Johnston. Ce n’est pas sans raison qu’il a été reconnu comme le doyen de l’anesthésie au Canada à cette époque.
Le Dr Johnston est né le 12 mai 1868, fils de Samuel et Elizabeth Johnston, de robustes pionniers du comté de Wellington, en Ontario. Après des études à Erin et à Guelph, il poursuit son éducation en suivant des cours au Collège Trinity de Toronto tout en travaillant dans un bureau d’avocats. À cette époque, le droit ne l’intéressait pas suffisamment ni, un peu plus tard, le sacerdoce. Il choisit finalement la médecine. Il a obtenu son diplôme du Collège Trinity en 1901, à l’âge de 32 ans. Il a ensuite fait un internat à l’Hôpital Toronto General, où ses fonctions consistaient notamment à administrer de l’éther et du chloroforme. Il devint habile en anesthésie et, en 1903, il fut invité, ainsi qu’un autre ancien interne, à former le service d’anesthésie de l’hôpital. En 1907, le Dr Johnston a été nommé chef du nouveau Département d’anesthésie de l’Hôpital Toronto General. La même année, ses compétences en enseignement ont été reconnues lorsqu’il s’est vu confier une tâche de chargé de cours à l’Université de Toronto. Il pratiquait déjà l’anesthésie à temps plein et, conscient de la nécessité d’en apprendre davantage dans un domaine qui commençait à être reconnu comme une spécialité, le Dr Johnston a consacré une partie de l’année 1910 à visiter des centres en Angleterre et en France. Il est rentré à Toronto étant devenu spécialiste en bonne et due forme.
Toujours conscient de l’importance de se tenir au courant des évolutions dans le domaine, le Dr Johnston a soigneusement bâti un département solide qui, au moment de sa retraite, s’était élargi et comprenait sept autres médecins. Le Dr Sam était respecté de tous ses collègues pour sa bonté et sa compréhension, pour son leadership et pour ses compétences en anesthésie. Le Dr Johnston était généralement ouvert à l’utilisation d’une variété de techniques et son département a établi la norme pour la pratique de l’anesthésie au Canada au cours de la période d’entre-deux-guerres. Toutefois, ses préoccupations au sujet d’explosions à Toronto causées par l’utilisation du chlorure d’éthyle l’ont mené à proscrire l’utilisation clinique du cyclopropane, mise au point par ses collègues torontois Velyicn Henderson et Georges Lucas. C’est ainsi que Toronto, et le Canada, n’ont pu revendiquer la première utilisation de cet anesthésique remarquable. (Le Dr Johnston s’est aussi montré méfiant au premier abord de l’anesthésie rachidienne qui, selon une anecdote, avait tellement perturbé un patient que celui-ci, lorsqu’il retrouva l’usage de ses jambes, s’était réfugié sur le toit de l’hôpital d’où il s’était mis à lancer des briques de la cheminée à ses prétendus bourreaux.) Pour ce professeur prudent, une anesthésie rigoureuse et attentive était toujours la préoccupation première et la déclaration qu’il a faite dans l’un de ses articles, à savoir que « l’éternelle vigilance est le prix à payer pour la sécurité », est devenue le secret de l’art de l’anesthésie que le Dr Johnston a inculqué à ses collègues et à ses étudiants.
À une époque où le besoin de professionnalisme dans la spécialité devenait évident, les qualités du Dr Johnston et ses normes personnelles élevées, aussi bien comme individu que comme anesthésiste, étaient très appréciées. Il est devenu président fondateur de la Société canadienne des anesthésistes en 1920 et, à l’extérieur du Canada, président de la section d’anesthésie de l’Association médicale britannique en 1926. Il a reconnu les contributions des anesthésistes américains à l’anesthésie au Canada et il a tiré un grand plaisir de sa présidence de
l’Associated Anesthetists of the United States and Canada. Il a occupé ces postes aussi admirablement que d’autres à Toronto, où il avait été élu à la présidence de l’Académie de médecine, ce qui était inhabituel pour un anesthésiste, et où il a aussi présidé la Société d’Esculape, un club de dîner-conférence. Le Dr Johnston a reçu de nombreuses accolades au cours de sa vie, et elles convenaient toutes à la position qu’il occupait en anesthésie. Mais les anesthésistes canadiens d’aujourd’hui doivent se souvenir de lui pour ses contributions au maintien des normes en anesthésie et à l’amélioration de la pratique de l’anesthésie. Car, comme il l’avait un jour affirmé, « les jeunes anesthésistes d’aujourd’hui ne réalisent pas toutes les difficultés qui ont dû être surmontées pour tracer la voie de l’autoroute "asphaltée" qu’ils parcourent maintenant ».
David A.E. Shephard MB FRCPC
CAN J ANAESTH 1994 / 41:4 / p.353